600 emplois pour recycler les terres rares et métaux stratégiques

Les terres rares et métaux stratégiques sont devenus quasiment incontournables dans les moteurs et batteries des véhicules électriques, mais aussi, pour ne citer que les utilisations les plus connues, dans les pots d’échappement catalytiques, les téléphones portables, les écrans plats et les cellules photovoltaïques. Le pôle de compétitivité Team2, implanté à Loos-en-Gohelle (62), estime que leur recyclage sera créateur d’une centaine d’emploi directs dans la région Nord-Pas-de-Calais, sur les 5 années à venir.

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INDIUM

Aujourd’hui encore, le discours des détracteurs au développement des véhicules électriques s’appuie, en partie, sur la consommation en terres rares et métaux stratégiques nécessaires à la fabrication des moteurs à aimant permanent et des batteries. Les véhicules thermiques ne sont cependant pas mieux lotis, puisque leurs pots d’échappement catalytiques en exploite des volumes bien plus importants. Et en dehors de la mobilité, ce sont, par exemple, les lampes à basse consommation d’énergie ou les téléphones portables qui en contiennent.

Sans recyclage, les réserves en indium, ce métal rare utilisé pour réaliser les écrans plats et cellules photovoltaïques, seront épuisées dans une fourchette de 10 à 15 ans, comme le souligne Christian Traisnel, directeur général du pôle de compétitivité Team2. Une situation bien entendu liée à la forte croissance de la demande. En « 1990, on produisait 100 tonnes d’indium dans le monde chaque année, aujourd’hui c’est 2.000 tonnes ».

ECOLES, UNIVERSITÉS ET PME

Voilà pourquoi il est nécessaire de mettre en place des filières de récupération. « Tout le recyclage est un secteur d’avenir et c’est ce sur quoi nous voulons nous positionner. L’objectif est de développer l’emploi et l’innovation et de renforcer le tissu local des PME, en faisant que notre région devienne la première pour le recyclage des terres rares et des métaux stratégiques », explique Christian Traisnel.

Le pôle de compétitivité Team2 qu’il dirige a lancé officiellement lundi 19 mai 2014 une action de recherche et développement sur le sujet. « On va trouver des écoles, des universités, qui ouvrent des tiroirs, apportent des idées », mais aussi des PME prêtes à mettre en place des industries à la suite. Christian Thomas explique : « Pour aller chercher les métaux stratégiques dans les déchets, c’est une succession d’étapes technologiques. Cela nécessite de lier les acteurs qui n’ont pas l’habitude de se parler et c’est le rôle du pôle de compétitivité. Il faut inventer cette nouvelle métallurgie permettant de traiter ces nouvelles matières ».

ACTIONS

Pour autant, la région Nord-Pas-de-Calais fait déjà preuve d’un certain dynamisme dans le domaine, après avoir été une terre d’accueil à nombre d’entreprises aux activités hautement polluantes. Elle compterait déjà près de « 500 emplois directs et indirects dans le secteur du recyclage des métaux stratégiques », auxquels s’ajouterait une centaine de nouveaux postes en 5 ans.

C’est dans cette optique que le pôle s’active sur 3 fronts. Il compte ainsi « accompagner le développement des filières à responsabilité élargie pour la valorisation des métaux stratégiques », en visant en priorité les déchets d’équipements électriques et électroniques, les lampes, les véhicules hors d’usage, les piles et les accumulateurs. Il s’agit aussi de « certifier les installations de recyclage, pour que certains déchets ou fractions riches en métaux stratégiques soient orientés vers des installations performantes et présentant des garanties environnementales et sanitaires ». Enfin, le pôle souhaite « mobiliser les acteurs publics et privés de la recherche » autour du sujet.

TANTALE ET ANTIMOINE

Si l’association se veut si dynamique autour des métaux stratégiques et des terres rares, c’est qu’ils ont un impact conséquent dans l’élaboration et le déploiement de nouvelles technologies, créant une certaine dépendance par rapport à diverses régions du monde. Ainsi, le tantale utilisé pour les tablettes électroniques n’est exploité qu’en Australie et en Afrique. Mais aujourd’hui, ce métal gris-bleu, bon conducteur électrique et thermique, est perdu lors du recyclage. Un des objectifs du pôle est de le récupérer pour le réutiliser.

Autre exemple proposé par Christian Traisnel, celui de l’antimoine. « Produit à plus de 90% en Chine, dans le Yunnan », ce matériau touche à sa pénurie, alors qu’il est indispensable dans les retardateurs de flamme et les produits ignifugés. « On a donc besoin d’aller chercher l’antimoine dans les déchets, car sinon, on n’en aura plus pour construire des sièges d’avion », cite-t-il en exemple.

NYRSTAR

Revenons à l’indium. Nyrstar, premier producteur mondial de zinc raffiné, a lancé en 2009 la première production d’indium métal, en sous-produit du zinc, dans son usine d’Auby (59), grâce à de nouvelles capacités de raffinage polymétalliques. Xavier Constant, directeur du développement Europe et Etats-Unis de l’entreprise, indique : « Nous allons évoluer et essayer d’extraire les sous-produits et donc un certain nombre de métaux que nous ne valorisions pas » et qui finissaient dans les bassins. Nyrstar est ainsi le seul producteur d’indium en Europe, avec 40 tonnes mis sur le marché en 2013.

Avec des réserves qui s’épuisent de plus en plus rapidement, les filières du recyclage sont indispensables. Elles permettront de faire reculer des échéances, désormais perçues comme trop proches, qui marqueraient la fin de matières et matériaux devenus incontournables à la fabrication de nos outils et attributs usuels. Mais c’est aussi de lutte contre toutes les formes de gaspillage qu’il s’agit, ce qui passe par un respect des produits manufacturés dont il faudrait revoir à la hausse la durée de vie !

Recyclage made in France des terres rares

 Le chimiste Solvay s’est lancé en 2012 dans le recyclage à grande échelle de terres rares. Une activité stratégique qu’il réalise dans l’Hexagone avec des technologies exclusives.

Prenez une toile de maître recouverte de pigments de couleurs. Imaginez devoir les séparer et les rassembler en tas, par couleurs. Un travail titanesque ! C’est, en quelque sorte, le défi relevé par Solvay. Le chimiste s’est lancé dans le recyclage des terres rares, ces 17 métaux utilisés dans des applications de haute technologie pour leurs performances en matière de luminescence et de magnétisme. Leurs caractéristiques physico-chimiques étant très semblables, les diviser pour les réutiliser tient de la gageure!

Solvay a lancé trois projets qui visent à extraire les terres rares puis à les séparer pour les revendre aux fabricants de trois types de produits : les batteries NiMH (nickel-métal-hydrure) des véhicules hybrides, les aimants, et les lampes à basse consommation. Les recycleurs collectent les produits concernés et fournissent au chimiste belge les mélanges de terres rares. Après séparation, ce dernier les vend aux fabricants d’équipements selon leurs besoins. L’objectif de Solvay ? Que le recyclage fournisse, suivant les terres rares, de 5% à 50% de ses ventes. Pour y parvenir, le groupe a mis au point un procédé de séparation en plusieurs étapes, inédit et protégé par des brevets maison.

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ÉQUIPEMENT LOURD EXISTANT

Et si le chimiste a pu se lancer aussi vite, c’est qu’il avait à sa disposition des équipements ad hoc sur son site de La Rochelle (Charente-Maritime), mis sous cocon depuis plusieurs années. Ils datent de l’époque où Rhodia – avec lequel Solvay a fusionné il y a un an – traitait les terres rares importées de Chine. Quelques dizaines de millions d’euros ont été nécessaires pour « réveiller » et adapter ces installations au recyclage. C’est là qu’est installée la technologie phare : des batteries d’extraction liquide-liquide disposées en séries sur des dizaines de mètres. Grâce à l’emploi d’une palette de solvants, cet équipement lourd sépare successivement les terres rares en jouant sur leurs degrés de solubilité.

Le process nécessite de grandes quantités d’eau et d’acides. C’est là son principal défaut : la séparation des terres rares peut avoir un impact sur l’environnement et la santé. Solvay assure avoir disposé tout au long du cycle des systèmes de traitements des effluents liquides, grâce à une station d’épuration, et des évents gazeux, à l’aide d’une colonne de lavage et d’absorption. Hitachi, l’un des concurrents nippons du chimiste, expérimente une technique d’extraction du néodyme et du dysprosium par voie sèche, censée être moins polluante.

La filière des lampes à basse consommation et des néons a nécessité un process de traitement supplémentaire en amont : les poudres luminophores sont d’abord acheminées sur le site de Saint-Fons (Rhône), au coeur de la vallée de la chimie. Un atelier de production y a été modernisé afin d’éliminer les résidus de verre et de mercure. Leur extraction des poudres luminophores est assurée grâce à une hotte d’aspiration et à des tubes de charbon actif. Cette étape suscite malgré tout des inquiétudes chez certains représentants syndicaux. « La sécurité du personnel et le traitement des effluents représentent la moitié de l’investissement total », rassure Frédéric Carencotte, le directeur industriel de la division terres rares chez Solvay.

Protégé par deux brevets, le process de Saint-Fons a nécessité 15 millions d’euros d’investissements. La poudre de terres rares encore mélangées est ensuite transportée à La Rochelle pour subir la séparation proprement dite. Le process mis en oeuvre par le groupe belge permettra très vite d’atteindre des capacités de production de 5 000 tonnes de terres rares par an. Un chiffre supérieur aux quotas annuels d’environ 3 000 tonnes alloués à Solvay par la Chine, qui contrôle d’une main de fer 95% de la production mondiale (130 000 tonnes).

 

SÉCURISER LA COLLECTE

Pour maintenir à flots ce recyclage, la sécurisation et le développement des filières d’approvisionnement demeurent le principal enjeu. Pour chaque filière, Solvay a dû se tourner vers des recycleurs spécialisés. Umicore collecte des batteries, les fond à très hautes températures et fournit les terres rares. De son côté, Récylum collecte des lampes à basse consommation, sépare le plastique, les métaux et l’électronique et de la poudre qui contient, outre les terres rares, des traces de verre et de mercure.

Solvay est ainsi parvenu à diversifier ses sources d’approvisionnement en terres rares. « Nous avons été surpris par la baisse brutale des quotas d’exportation chinois en 2010, explique Gilles Auffret, membre du comité exécutif du groupe. Si nous constatons un retour à la normale, aucun de nos clients ne peut souffrir de problème d’approvisionnement et de volatilité des prix. » De futures filières pourraient voir le jour rapidement, en particulier pour les écrans LCD, les aimants de disque durs et, pourquoi pas, les batteries des Autolib’, les voitures électriques en libre-service à Paris.